Dans cet article, je ne vais pas traiter de la gestion du coup feu. Je crois que toutes les sociétés en connaissent quelques-uns au cours de leur histoire.
Je vais plutôt parler d'un nouveau type de gestion que je nommerai "gestion coup de feu".
Elle est devenue très répandue de nos jours au point de devenir un véritable problème.
La "gestion coup de feu" est a sa source dans la gestion du personnel, principalement appliqué par la hiérarchie pour obtenir les services qu'elle attend.
Malheureusement, la "gestion coup de feu" est pratique à court terme mais aussi extrêmement dangereuse pour la stabilité des entreprises sur le long terme.
La gestion coup de feu à probablement ses origines dans le secteur informatique où les erreurs sont courantes mais touche aujourd'hui tous les secteurs de tout type d'industrie. Même le secteur des services et de la consultance n'y échappent plus.
Les comptables, acheteurs, vendeurs, secrétaires et ouvriers de productions de grosses entreprises pourtant réputées connaissent aujourd'hui les affres de la "gestion coup de feu".
C'est quoi au juste la "gestion coup de feu"
Et bien, c'est assez simple et cela résume en "J'en ai besoin là maintenant. Tout de suite, cela ne peut pas attendre!" à longueur de journée.
Peut-être un peu expéditif comme mise en bouche mais terriblement réaliste.
Tout au long de la journée, le travail de fond est interrompu pour résoudre des problèmes devenus impératifs dans l'instant. Bien évidemment, il ne s'agit pas d'une requête introduite plusieurs jours à l'avance (histoire de pouvoir planifier son travail) mais de besoins aussi soudains que pressants.
Ainsi, en courant de journée, il n'est plus possible d'accomplir son travail dans des conditions normales, et cela en étant interrompu systématiquement en cours de journée.
La plupart du temps, il n'est d'ailleurs plus possible de faire attendre la réponse jusqu'à un moment adéquat à l'organisation de son propre travail, la pression hiérarchique est également là pour épauler ces demandes qu'il convient de ne pas différer pour la bonne marche de société.
L'homme perd son statut humain pour se transformer en automate.
Que vous soyez débordés ou pas dans votre travail, la priorité est au coup de feu... il est important de l'éteindre immédiatement (ce qui est somme toute assez raisonnable).
Même si vous êtes visiblement débordé et de bonne volonté pour aider votre prochain à trouver ses réponses, votre interlocuteur stressé et stressant saura même vous agresser verbalement parce que le résultat de ses attentes n'est pas déposé tel qu'il l'attend dans le creux de ses mains.
Comment est-ce que cela s'installe ?
C'est en fait assez simple. La gestion coup de feu s'installe par un manque de vigilance de la chaine hiérarchique.
Je m'explique:
De nos jours, on attend un maximum de résultat et de réactivité des sociétés tout en compressant les coût de fonctionnement. Cela signifie moins de stock, des délais de production écourtés et aussi la compression du personnel. Les choses allant de plus en plus vite (comme la réactivité attendue d'ailleurs), des erreurs se glissent dans la chaîne du travail. Certes, des erreurs mineures mais elles s'amoncellent.
Il n'est alors plus possible pour les différents employés/ouvriers de la chaîne d'accomplir leur travail vraiment correctement, les choses allant trop vite, il faut quelque-fois (souvent) laisser passer des petites choses, voir des problèmes plus gros mais sans impact immédiat.
Lorsque la hiérarchie est tenue au courant (ce qui est souvent le cas lorsque le régime monte), il décide de laisser passer l'alerte pour traiter le problème lorsqu'il se présentera.
Avec les flux de plus en plus tendus et les exigences de réactivités de plus en plus sévères, il n'est même plus possible de vraiment "alarmer" ses supérieurs.
Ainsi, pendant de longs mois, ces "erreurs" se glissent un peu partout pour finalement se terminer par une avalanche... et c'est là que commence la "gestion coup feu".
En effet, si la charge de travail a évolué ces derniers mois au point de ne plus vraiment avoir le temps de faire son travail à fond (comme on le voudrait d'ailleurs), les problèmes induits par les erreurs sont "graves pour le client" et doivent donc être traités et résolus en priorité.
Cela consomme une énergie folle et cause beaucoup de stress. Déjà, vous aurez à absorber les conséquences de vos petites erreurs imposées par la nécessité de production mais en plus vous subirez immédiatement (ou en dommage collatéral) les erreurs des autres services qui auront aussi besoin de votre soutien pour un point ou l'autre afférent à votre travail.
Ainsi l'avalanche devient double... il faut toujours assumer son travail... et il n'y a plus d'autre solution que de gérer les problèmes entrants (et demandes) au coup par coup... et cela pendant des journées entières durant des mois, voire des années.
Au quotidien, la gestion coup de feu s'inscrit dans une système "action-réaction" ou la planification est devenue impossible.
Où est l'erreur de gestion?
Les erreurs primaires, cause d'une gestion coup de feu, résident:
- Dans le manque de recul lors de la gestion des impératifs de production.
A un moment donné, l'on aura préféré une production incomplète et moins respectueuse des critères de qualités pour satisfaire aux exigences de productivité (en quantités, délais raccourcis ou compression de personnel). Tout se paie un jour. - Dans la non prévision des conséquences des erreurs que l'on a volontairement laissées passer.
Des erreurs (ou "trou") que l'on ne cherchera pas à combler par la suite. En effet, le passé c'est du passé. Et l'on est souvent tenté d'enchainer les solutions faciles.
En ce qui concerne le monde informatique (IT et développement), les deux erreurs de gestion précédemment décrites sont vraiment très courantes. Je dirais même que c'est édifié en règles standards de production (ouch!!).
Ainsi, l'on rencontre souvent les comportements suivant:
- Remettre à plus tard certains développements.
- Ne pas blinder certaines logiques, voire carrément omettre des pans entiers de code... (on verra bien si cela explose!).
- Ne pas tester les modifications... agir en "live" et surtout dans l'urgence.
- Négliger les sessions de tests (cela prend du temps et forcement cela coûte cher dans un budget).
- Sortir la version du logiciel coûte que coûte ( "par la porte ou par la fenêtre" est un terme régulièrement usité) sans considération particulière pour les problèmes potentiels (encore une fois, "on verra plus tard...").
- Produire plus et plus vite... au point de ne plus être méticuleux sur la cohérence des informations produites/stockées.
- Attendre la dernière minute pour faire mettre en place des modifications importantes ou impératives.
En effet, de petites erreurs en petites erreurs, et lorsque l'utilisateur final tente de trouver seul une autre voie pour résoudre ses problèmes (1*) les erreurs se glissent doucement dans la base de données... ou les documents produits (code barre) ne contiennent pas les bonnes informations.
Le niveau d'incohérence s'élève peu à peu sans que l'on s'en rende vraiment compte... les problèmes logiciels étant généralement mis sur le dos des utilisateurs... et lorsque cela devient important au point de faire des investigations, il est déjà trop tard car l'on rentre déjà dans un cycle "Action-Réaction".
Et comme un problème informatique n'arrive jamais seul... (autres clients ou autres problèmes), l'on passe très vite dans le mode "gestion coup de feu"... bye-bye la planification.
1*) C'est lorsque l'utilisateur rencontre des problèmes (ou qu'il est bloqué par le logiciel) qu'il se met à explorer les autres options/façons d'arriver à ses fins. C'est ainsi qu'il arrive tôt ou tard à exécuter les portions de code non blindées ou faites "à la va vite". Dans le meilleur des cas, cela plante le logiciel, ce qui est une bonne chose car dans le pire des cas, cela corrompt les données, l'intégrité de celles-ci, exécute un processus de façon incomplète ou produit une action/document orphelin qui peut se perdre dans les méandres de l'administration.
Mon avis est que même les cas d'erreurs doivent être prévus, documentés et bloqués!
Si une section du logiciel est incomplète, et à moins d'une analyse de risque (et solution) rigoureuse, cette section doit être désactivée ou produire une erreur compréhensible.
Cela évite d'entrer dans un processus de gestion de coup de feu qui est une nuisance grave (cfr la métaphore de l'incendie) pour maintenir un bon train de production à court terme comme à long terme.
En parallèle, j'évoquerais le cas d'une construction où les futurs propriétaires ne disposent pas d'assez de moyen pour avoir une cave de plain pied sous la maison mais d'une cave sous une partie seulement de la construction à venir.
Dans ce cas de figure où il faut abandonner une partie de la construction, la maison ne disposera pourtant pas d'une bonne fondation côté cave et d'une mauvaise fondation côté "sans" cave.
Pour résoudre ce problème, les professionnels placent une semelle en béton et un vide ventilé sous la partie "sans" cave.
L'ensemble cave + semelle est monté sous forme d'un ensemble cohérent visant à assurer coûte que coûte la stabilité complète de la construction.
Il devrait en être de même dans le monde logiciel.
S'échapper de la gestion coup de feu
Pour cela, il faudra que quelqu'un prenne la décision d'agir sur le processus pour résorber les problèmes avant qu'ils n'arrivent (ou limiter les conséquences de ces problèmes).
En modifiant le schéma systémique, il est possible de rétablir une situation normale, mais cela prend du temps et des ressources, car durant cette période de transition il faut aussi continuer à gérer les coups de feu en cours.
Pour arriver à cela ou éviter de tomber dans une "gestion coup de feu", il faut prendre la décision d'avoir un produit (et une chaine de production) où l'erreur est traquée avant qu'elle n'ait une répercussion... même des mois plus tard.
C'est un travail d'analyse continu ou la vigilance doit rester constante.
Dans le cadre d'un rétablissement de gestion en planification, cela représente aussi une lourde responsabilité car cela impose, à un moment donné, de freiner la production pour réorganiser les ressources, les objectifs et y mettre de l'ordre.
Dans la pratique, les contraintes de production sont telles que le hiérarchie ne réagit pas à temps (voire pas du tout).
Quand le phénomène "gestion coup de feu" s'amorce, les employés tardent d'ailleurs à réagir. C'est en effet lorsque la charge quotidienne de travail semble démesurée qu'ils se réinterrogent sur "ce qu'il se passe". Mais dans la plupart des cas, ils avaient déjà levé le lièvre plusieurs mois avant... problème sans importance immédiate à l'époque. Il sera déjà trop tard au moment du constat.
Dans les faits, et même si les employés se plaignent, ils ont souvent assez de conscience professionnelle pour joindre les deux bouts quand même.
Malgré une perte de production apparemment raisonnable, ce "laisser aller" à un prix à long terme (bien plus grave que l'effet d'avalanche déjà décrit). Nous aborderons les conséquences plus tard lors la métaphore de l'incendie.
Et sans vouloir porter atteinte à qui que ce soit, lorsqu'une "gestion coup de feu" se met en place, les supérieurs hiérarchiques passent du statut de planificateur à celui d'aboyeur. Il n'est généralement plus là pour planifier mais pour imposer des délais ou des contraintes de solutions (système action-réaction/problèmes-solutions)... d'ailleurs la planification devient impossible tellement les équipes sont submergées par les problèmes s'ajoutant à leur travail quotidien.
La métaphore de l'incendie
Pour comprendre l'utilité d'une gestion précoce des erreurs et problèmes tout comme l'utilité de sortir d'une "gestion coup de feu", nous allons utiliser les services d'incendies comme référence d'une métaphore.
Pour commencer, les services d'incendies font de la prévention. Ils visitent régulièrement les entreprises avoisinantes pour s'assurer qu'il n'existe aucun risque en gestation. Avoir un équipement d'incendie en ordre et des conditions de travail sous contrôles de risque est impératif.
En fait, les services d'incendies traquent l'erreur dans votre système et vous encourage à le corriger au plus vite avant que cela ne devienne un gros problèmes. Plein de bon sens et pour le moment, cela n'a coûté les efforts que d'une personne. Le coût est raisonnable.
Admettons maintenant que cela ne se soit jamais passé et que votre système présente un réel risque.
Lorsque le risque tourne à l'incendie, c'est une brigade de pompier qui débarque... et si le problème est difficilement contrôlable (ce qui arrive aussi dans le domaine informatique comme la production)... c'est tous les services d'incendies qui débarquent pour limiter les dégâts et tenter de sauver ce qui peut l'être.
En faisant appel à son bon sens, on remarque facilement que:
la négligence à pour conséquence:
- Une débauche de moyen matériel pour garder le système sous contrôle.
- Une débauche d'énergie humaine
- Un risque accru pour le système (les pompiers ne font pas dans la dentelle, c'est normal d'être moins regardant en période de risques accrus).
- Un risque d'arrêt du système.
- Cela coutent des centaines (voir des milliers) de fois plus d'argent que la prévention.
Après l'intervention:
- Evaluer les dégats (tâche pas toujours facile).
- Il est parfois nécessaire de reconstruire partiellement ou totalement le système (cela concerne aussi l'information!).
- Parfois nécessaire de faire appel à des spécialistes pour nous aider à contrôler ce qui est devenu difficile à maintenir ou reconstruire une nouvelle infrastructure (aussi vrai pour l'IT!).
- Rassurer les clients et les fournisseurs (car l'entreprise apparait bien fragile tout d'un coup!).
Les employés:
Dans cette métaphore, les pompiers sont en fait les employés qui gèrent le "coups de feu"/problèmes apparus.Tout comme les pompiers:
- C'est les plus expérimentés qui partent au feu. Ceux qui sauront certainement apporter les meilleures réponses tout en préservant l'intégrité du système.
- C'est des humains qui s'épuisent. Il n'est pas possible pour un pompier de partir au feu heures après heures, jours après jours pendant des mois. C'est épuisant physiquement et psychologiquement, tout comme pour les employés.
- C'est une denrée non renouvelable. Si l'on peut remplacer un employé ou un pompier, on ne remplace pas l'expérience au pied levé! Il ne suffit pas de le presser comme un citron et le jeter pour ensuite en reprendre un autre. C'est pourtant une conception répandue.
- L'épuisement professionnel des éléments soumis à un stress constant et donc une prolifération des maladies de longue durée.
- Perte de compétences dans l'entreprise suite aux démissions des éléments les plus aptes à apporter les réponses adéquates.
- Une forte perte de productivité car:
- Résoudre un coup de feu est souvent plus complexe que d'avoir résolu le le problème à son origine. Cela coûte forcement plus de temps.
- La concentration intense est une ressource rapidement épuisable sur une journée. A force de coups de feu et problèmes divers, la performance fond comme neige au soleil.
- Une sur-diminution de productivite:
- Un élément expérimenté en situation d'épuisement ne forme pas (ou mal) son nouveau collègue.
- Un élément expérimenté peu travailler jusque quatre fois plus vite qu'une nouvelle recrue. En cas de démission ou de maladie de longue durée, la perte est importante, le remplaçant est peu efficace surtout si la tâche est complexe, ce qui accentue encore la pression et le stress général.
- Les démissions en masse ne passent pas inaperçues dans le monde du travail (on appelle cela le ratio TurnOver).
Comme les gens n'ont pas une tendance naturelle au suicide, les candidats les plus avisés (mais aussi les plus intéressants sur le plan intellectuel et professionnel) passeront leur chemin.
La production ne s'en portera certainement pas mieux. - Une baisse de qualité apparente des produits et services (2*) et donc des pertes diverses (retours, perte de contrats, poursuites diverses, surcroît de suivit de dossiers, augmentation des pertes financières, pertes d'énergie).
- Dégradation de l'image de la société.
Si cela est mauvais pour les relations commerciales, cela l'est encore plus pour le Goodwill des grandes sociétés. - Perte de stabilité sur le marché de l'emploi comme sur le marché des ventes.
Pourtant, les coups de feux sont inévitables
Le coup de feu occasionnel est inévitable de temps à autre. Ce qui est plus inquiétant, c'est que cela semble devenir un mode gestion des outils de productions (employés ou ouvriers).
Il existe des métiers comme la restauration où le coup de feu est quotidien. Mais la gestion est radicalement différente de la "gestion coup de feu" que j'ai décris dans cet article.
En effet, les restaurateurs (et cuisiniers) savent très bien que le coup de feu des repas est intense et qu'ils n'ont pas le temps de se retourner. Les clients attendent, ils ont faim et pire encore, tous en même temps.
Mais ce qui change radicalement dans ce cas de figure, c'est que les cuisiniers se préparent depuis le matin pour pouvoir gérer posément la surcharge de travail des heures de repas.
Dans ce cas de figure, on est dans un modèle "prévision-action", cela n'a aucun rapport avec le modèle "gestion coup de feu" qui se base uniquement sur la loi de l' "action-réaction" (problème-solution).
Comment identifier une situation de "gestion coup de feu"
Pour éviter les dérapages dans le processus de production et les conséquences à long terme, il convient de détecter le comportement systématique qui s'installe autour des situations "coup de feu" pour éviter que s'installe une "gestion coup de feu" (si cela est encore possible).
Voici quelques pistes de recherche:
- Détecter une augmentation des plaintes soit des employés, soit des clients ou des fournisseurs.
- Détecter les négligences vis-à-vis des problèmes de production (manque de précision, employé désabusé).
- Etre attentif au fait que le travail quotidien/hebdomadaire régulier puisse être absorbé normalement.
- Autres suggestions....
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